Aleister connait bien cela pour avoir été au centre d'un dilemme grandiose à son époque, des dons en échange de l'âme. Comme s'il avait pactisé avec le diable, le jeune grec ne fut qu'attiré par son désir cuisant de puissance magique, d'élever ses dons premièrement naissant à la connaissance pointilleuse d'un art nommé l'expression. Cette femme le savait cupide, renommé pour ne vivre que par ambition, être dévoré par l'orgueil, ne se soucier que de sa personne et n'adorer qu'une chose au point d'être aveugle quant aux autres délices plus simples de l'existence. Madera était vu comme un jeune apprenti cupide, assoiffé de connaissances, impatient de voir sa magie se développer afin de surpasser les plus sages, il était parfait pour le rôle important qu'elle désirait lui faire tenir dans la pièce sombre de sa vengeance. Jamais Aleister n'avait songé brûler les étapes ainsi, jamais il n'aurait pu imaginé que la plus puissante d'entre eux vienne lui proposer de s'élever ainsi en échange d'une chose *pourtant précieuse* à laquelle il n'accordait aucune importance : son âme. Il lui offrit sans sied et elle tint parole, baignant son être de puissance, de magie, le dressant au grade de sorcier sans contrepartie, du moins, il en était persuadé... Aveuglé par ce flux intense en lui, à sa disposition, le jeune homme n'y vit rien d'étrange jusqu'à sentir la fraîcheur de la mort l'envahir pour le livrer à un tout autre univers dans lequel il pouvait aller et venir librement sans quitter vraiment le monde réel. Un endroit sombre, plongé dans une brume constante, frais et parfois lugubre, mais qu'importait cela puisqu'il était dès lors plus puissant que l'homme dont elle voulait obtenir vengeance d'après les dires qu'elle lui offrait en souriant? Même ce rictus logé aux lèvres fines de la nécromancienne ne l'alerta pas, pourtant il aurait livré bien des frissons à quiconque, autre que ce jeune cupide, y aurait posé les yeux.

Des mois passèrent et rien ne fit regretter son choix à Aleister, il jouait de magie, impressionnant les plus belles femmes, s'attirant les jalousies de leurs époux, savourant chaque jour un peu plus sa décision. Ne plus avoir d'âme ne lui faisait aucunement défaut, personne ne savait, uniquement lui et cette sorcière qui disparut du jour au lendemain sans raison valable, une aubaine pour lui qui resta ancré au monde, capable de survivre sans effort, capable d'éliminer quiconque lui barrait la route des désirs qu'il comptait bien obtenir, il était désormais le seul, le plus doué de son genre sans jamais connaître le revers de la médaille jusqu'à ce fameux soir... Une jeune femme se tenait à l'autre bout de cette foule massive en festivité, elle le fixait sans jamais qu'un autre que lui ne pose le regard sur sa silhouette chétive, elle l'observait et le suivait, comme s'il était la réponse, comme s'il était son but. Attiré par la lueur étrange qui émanait d'elle, il s'éloigna du reste des villageois et elle apparut devant lui. La main tremblante, cette inconnue l'approcha de son avant bras, "Pardonne-moi pour." Avait-elle dit tandis qu'il lui souriait sans comprendre. Les doigts encerclèrent son poignet et les souvenirs douloureux de ce qui devait être sa mort englobèrent le sorcier. La souffrance était réelle sans véritablement lui ouvrir le ventre comme elle semblait avoir embrassé son décès, le sang ne coula pas mais le feu de la plaie lui déchira les entrailles, ses genoux tremblèrent et vacillèrent jusqu'à rencontrer le sol. Il ne sut dire combien de temps ces ravages étranges opérèrent sur son corps mais tout il advint qu'il n'avait jamais connu telle torture. Cette nuit là Aleister sembla comprendre en tournant des yeux larmoyants vers les bois, la brume, la pénombre et le froid l'englobèrent et il vit cette jeune femme s'enfoncer dans cet univers qui jusqu'ici ne l'avait jamais intrigué. Elle disparaissait dans ce qu'il nomma les limbes, sachant désormais quel prix il allait payer pour avoir été si cupide et aveuglé par la magie. Ce n'était qu'un début car chaque sorcier qui quitta le monde traversa son corps, comme s'il n'était qu'un portail, le gardien d'un univers que lui seul pouvait contempler en étant présent de l'autre côté de la frontière qu'il était lui même, l'unique personne capable de les faire traverser pour enfin obtenir le repos éternel. Chaque mort lui offrit ses douleurs, chaque passage fut teinté de souffrance au point de lui en faire regretter, chaque jour un peu plus, l'offrande qu'il avait fait à cette Qetsiyha.

Les années passèrent et rien ne changea, pas même ses traits ou son corps, était-il devenu immortel? Etait-il contraint à vivre éternellement ces tourments pour avoir céder son âme? Aliester n'eut sa réponse que lorsqu'il attenta à ses propres jours, cent ans après être devenu le guide des êtres éteints. Une corde au cou, il avait fait vaciller la chaise sous ses pieds et avait cru atteindre enfin la liberté mais, sans âme, le corps reste présent et ne peut échapper à son sort. Il fut serein quelques minutes à peine avant de rouvrir les yeux, de sentir sa gorge se nouer quant à l'échec, incapable de mourir, voué à la souffrance pour l'éternité, des siècles et des siècles à souffrir par cupidité... L'unique satisfaction qu'il en retirait était sa magie et pourtant tous les sorts et potions du monde ne pouvaient l'aider, il était condamné par sa propre avidité et ne pouvait nullement en vouloir à son mentor pour l'avoir ainsi puni...

Des décennies filèrent, des centaines d'années puis un millier, les limbes abritèrent plus de fantômes et les changements du monde opérants, de nouvelles créatures firent le passage, les souffrances n'en étaient que plus vives lorsqu'on savait la façon dont ces derniers êtres mourraient : pieu dans le cœur, décapitation, immolation... Aliester traversa les époques, changeant de nom pour se créer une autre identité et tenter d'accepter son sort, il cru y parvenir grâce à une jeune fille, blonde, les yeux bruns, un teint de lait aux reflets d'ange, elle était aussi douce qu'entourée de mystère, son aura était pure et étrange, unique en son genre car jamais il n'avait remarqué la même chez un être humain. L'adolescente n'était nullement sorcière, encore moins louve ou vampire et pourtant sa lumière était aussi belle et enchanteresse qu'elle le fit apprécier enfin les saveurs simples de la vie. Aleister passa beaucoup de temps à l'observer, il se prit à aimer ce qu'il n'aurait jamais plus, l'humanité. En cette jeune personne il vit le désir de s'évader, le désir de vivre malgré les ombres qui l'entouraient. Cette jeune demoiselle était comme un souffle d'oxygène et lorsqu'elle disparut, que la mort vint la saisir sans qu'il ne fusse présent, Aliester garda jalousement les sourires qu'elle lui avait parfois servi et prit le temps d'apprendre, de lire, d'enseigner son savoir aux autres pour enfin palier aux douleurs et apprécier les méandres d'une éternité qu'il espérait plus douce ainsi...

Jadis cupide, avide et assez nombriliste, le nombre d'années vécues sous le signe des souffrances morbides des passagers en partance pour l'Autre Coté a changé la vision de vie du jeune sorcier. Ce ne fut pas sans travail et sans croiser le chemin d'une étrange humaine, cette dernière mélancolique, le sourire pourtant greffé en permanence à ses lèvres, lui a fait comprendre une chose primordiale *il y a de ça trois cent ans désormais*, la vie n'est douce que si on fait de ses peines et tourments une page à noircir pour mille autres à blanchir. Aveuglé par la puissance à son époque, désormais Dean n'en use que s'il n'y a d'autres choix, il est devenu intègre, patient, attentif et prudent, jamais il ne soulèvera de guerre, ce n'est pas son rôle, il doit rester neutre pour que l'équilibre de la frontière entre les Limbes et le monde réel ne faiblisse pas d'avantage encore depuis que le voile est levé, sans quoi il ne pourrait retenir certaines âmes trop néfastes et mènerait le monde à sa perte. Depuis la mort de la jeune blonde, il estime les choses avec plus de recul, savoure les richesses simples de l'existence, il apprit beaucoup plus que l'expression après avoir connu cette fille, il étudia les mythes, les légendes, et en fit une passion qu'il dédit aux jeunes gens curieux d'en savoir d'avantage sur des sujets qu'ils pensent encore imaginaires alors que les créatures rodent autour d'eux et ce depuis plus de 2000 ans.