Qetsiyah se tenait droite, souriante face au reflet enchanteur que lui rendait la surface aqueuse de la fontaine non loin de la place centrale. Vêtue d'une toge bleutée au reflets violine, cette dernière retombait voluptueusement sur ses hanches à l'aide d'une broche sertie de pierres précieuses. Les ourlets brodés de fils d'or ainsi que le motif complexe du symbole de leur communauté avaient été cousu par des couturières de renom et c'est fière que la prêtresse arborait sa robe de cérémonie. Dans quelques heures, dès lors que les rayons du soleil laisseraient place à la pale lueur de la lune, Silas et elle deviendraient mari et femme. Ce jour était de loin le plus important de son existence toute entière, la concrétisation d'un amour sincère qui marquerait un nouveau départ à travers les âges. Ensemble, ils vivraient de trépidantes aventures, admireraient l'effervescence d'un monde nouveau, et pourtant jamais il ne changeraient. Figés dans leur enveloppe charnelle à tout jamais, rien ne pourrait jamais les faire disparaître et ainsi, pour toujours leurs sentiments demeureraient. Pour se faire, Qetsiyah avait mis un point un sort mêlé dans un vin raffiné qu'il leur suffirait de boire pour embrasser l'éternité. Une larme perla sur sa joue lorsqu'elle réalisa que pour la première fois, sa vie prenait un sens. Silas était l'homme qui avait su faire d'une sorcière comme bien d'autres, une femme accomplie aux rêves intarissables, une personne ayant des perspectives d'avenir sans jamais craindre l'inconnu. Oui, la belle se sentait englobée dans une bulle de bonheur qui pourtant éclaterait sans qu'elle ne s'y attende. Ses doigts tremblants vinrent caresser la surface plane de l'eau, créant de petites vagues qui vinrent distordre son reflet.

- Qetsiyah ? Demanda une voix dans son dos qui la fit sursauter. Sortant momentanément de ses pensées, la prêtresse se retourna pour voir se dessiner sous son regard attendrit, les traits de son amie la plus chère. Un sourire se dessina sur les lèvres de la future mariée et immédiatement, cette dernière prit les mains de sa suivante dans les siennes. De tous ici bas, Amara était la personne qu'elle affectionnait le plus et quand bien même son rôle n'était que de servir et satisfaire sa maîtresse, Qetsiyah voyait en cette femme douce et sincère la plus belle et la plus pure des âmes.

- Si tu savais comme je suis heureuse Amara ! Je n'en peux plus d'attendre, je souhaiterai que les heures défilent de façon plus rapide encore afin de sceller mon amour à Silas. Dit-elle en levant le visage vers le ciel bouché de nuages. Certes, la sorcière aurait pu créer une faille temporelles pour immédiatement accéder à ce qu'elle désirait plus que tout, mais attendre décuplerait plus encore le bonheur qui se dégagerait de cette union tant attendue, elle en était intimement convaincue.

Bien loin de se douter que la frêle domestique face à elle serait bientôt la cause de son malheur, Qetsiyah lui offrait ses craintes actuelles, son excitation flagrante mais aussi ses doutes quand bien même elle savait que Silas était l'unique homme qu'elle aimerait durant les siècles à venir. Comme unique réponse, Amara lui adressa un sourire radieux, un sourire qui dissimulait parfaitement toute l'amertume et la rancœur qu'elle ressentait à l'encontre de celle qu'elle servait depuis plusieurs années déjà. Puis peu à peu, la prêtresse sentit sa tête tourner, une nausée insupportable fit remonter un goût des plus déplaisant dans sa bouche et c'est haletante et transpirante qu'elle tomba à terre, sa toge souillée par un liquide grenat. Lorsqu'elle releva les yeux vers sa suivante, la future mariée sentit son cœur se serrer et un cris de douleur perçant vint perturber les acclamations et les rires des habitants alors qu'Amara embrassait Silas. Les deux traîtres se retournèrent dans sa direction, souriant face à son incompréhension et c'est alors que son bien aimé s'accroupit auprès d'elle, posant une main froide sur sa joue ruisselante de larmes.

- Je ne serai jamais tiens, Qetsiyah. Je te détruirai, sois-en certaine.

La brutalité de ses mots fit naître en elle une haine encore inédite, tout prit feu sous son regard satisfait et pourtant, les rires ne cessèrent aucunement. Redoublant de force, ils ne firent qu'accentuer plus encore son désir de vengeance. Les mâchoires serrées, le cœur palpitant plus que de raison et le coin des yeux humides de larmes déversées durant son sommeil, Qetsiyah se redressa dans son lit, poussant ses draps en satins avant de se passer doucement la paume des mains sur son visage. Les cauchemars se faisaient de plus en plus nombreux ces derniers temps, et dans chacun d'entre eux, Silas s'y trouvait. Avec grâce, la belle sortit de sa couche et but avidement le verre d'eau posé sur sa table de nuit avant de se positionner devant l'unique fenêtre de sa chambre. Dehors la lune était encore haute dans le ciel et alors que rien ne venait troubler le calme nocturne, un pressentiment la rongeait. Quelque chose de mauvais était sur le point d'arriver.